Qu'est devenu ce bel oeil? - Musica reservata
Ce que l'on entend exactement par musica reservata, un terme qui est mentionné une dizaine de fois dans la littérature du XVIe siècle, n'est pas encore entièrement clair. L'interprétation la plus probable réfère au sens "social", à savoir qu'il s'agit d'une musique "réservée" à certaines personnes, c'est-à-dire réservée aux connaisseurs, et qui pose donc des exigences élevées en termes de compréhension. Les sources qui pourraient contribuer à l'interprétation de ce terme suggèrent quatre domaines : - l'interprétation du texte musical, - le rythme, - le chromatisme et - la pratique interprétative. La description la plus connue provient de l'humaniste néerlandais Samuel Quickelberg, qui a écrit à propos des Paslmi peonitentiales de Roland de Lassus : "Lassus, qui, lorsque c'était nécessaire, ajoutait des tons plaintifs et lugubres aux pensées et aux mots, soulignait la force des affects individuels et rendait le sujet presque vivant sous nos yeux, a exprimé le contenu de ces psaumes de façon si parfaite que l'on ne peut guère dire si la douceur des affects ornait les tons plaintifs, ou si les tons plaintifs ornaient encore plus richement la douceur des affects. Ce genre de musique s'appelle musica reservata [...]". Très souvent, Roland de Lassus est mentionné dans ce contexte comme le compositeur de l'époque qui a traité le plus profondément les principes et les innovations de la musica reservata.
Lassus est probablement né à Mons (Henngau) en 1532. Il reçoit ses premières leçons à l'âge de 12 ans, au service de Ferrante de Gonzague. Durant ce service, il a voyagé en France et en Italie. À partir de 1556, Lasso vit à Munich, où il est employé par le duc Albrecht V. Dans ses premières années, il n’y est guère satisfait. Bien qu'il reçoive d'importantes commandes, le Duc lui interdit de les imprimer et les considère comme la propriété de la cour de Bavière. Cela concerne également les deux cycles Prophetiae Sibyllarum et le Septem Psalmi poenitentiales. Bien que l'on craigne qu'il ne quitte Munich en raison de ses bons contacts avec d'autres cours, il y reste employé jusqu'à sa mort le 14 juin 1594.
Les Prophetiae Sibyllarum sont un cycle composé de douze poèmes latins de six lignes et d'un prologue de trois lignes. Le thème de chacun des douze poèmes est la prophétie d'une sibylle. L'interprétation du texte, auquel on attachait une importance particulière, était loin d'être aisée en raison de la densité des textes. Lassus, cependant, l'a considéré comme un défi et l'a surmonté en utilisant le chromatisme. Celui-ci était particulièrement adapté à l'interprétation des affects et souligne le caractère mystique des prophéties. On peut se demander si l'ensemble du cycle a effectivement été joué à la cour de Bavière dans le cadre de l’office.